Les Toulousaines
" Des maisons. On les appelle ainsi. Des Toulousaines. On en trouve dans la ville du Capitole évidemment, mais aussi beaucoup à Montauban, à Castelsarrasin, et dans tous les villages jusqu'à Moissac. Elles ont cette brique rose orangé, plus rose le matin, plus orange le soir. Les volets hauts sont peints en gris pâle le plus souvent, ou en vert très léger. Maisons à deux étages, avec grenier. Austères en plein hiver, quand un brouillard cendré monte de la Garonne ou du Tarn. Faites pour la chaleur, continentale et lourde. Gardeuses de fraîcheur en plein été, dès le clisquet de la porte retombé. Une entrée sombre si vaste, un sol carrelé à l'ancienne. Au bout, une porte-fenêtre aux quatre carreaux de couleur ouvre sur une cour ou un jardin. Un escalier si large-on ne manquait pas de place.
Volets tirés, souvent, mystère préservé. Ce sont des protestantes, conçues pour le silence et le retrait. Les noms qui reviennent le plus souvent sur les plaques, à droite du heurtoir, sont à faire chanter à l'occitane, mais dans un registre feutré. Delvolves, Delbouys, Sarremejanes. Maisons bourgeoises dans leur principe, conçues pour la respectabilité. Mais vivantes, parce qu'en dépit de leur sévérité de lignes et de structures elles révèlent une sensualité. Les volets gris n'y peuvent rien, c'est cette brique rose orangé qui trahit. Elle voudrait tenir la chaleur à distance, mais elle est chaleur aussi, chaleur qui joue en camaïeu avec le soleil entêtant.
Féminines, les Toulousaines. On y voit des vieilles dames en robe-tablier qui ferment les persiennes un peu trop tôt avant la nuit. Mais la brique rose orangé invente aussi celle qu'on verra moins, la jeune femme du docteur, distante et si bronzée. On aura deviné les dessous noirs et chics, on se sera trompé peut-être. Elles sont faites pour ça aussi. Le trouble reste, il fait encore si chaud.
Les Toulousaines."
Philippe Delerm, Extrait de son livre "Le trottoir au soleil".